Poursuivons notre étude du Discours de la Méthode de Descartes en entrant cette fois si dans l’oeuvre elle-même.
Quand on lit cette oeuvre, on peut être quelque pu désorienté par une certaine apparence d’hétérogénéité. La question de la cohérence du Discours de la Méthode sera traité en premier lieu. Cela nous mènera au contenu même de l’œuvre, à son objet et au projet de Descartes. Enfin nous terminerons sur le plan général du discours, qui sera d’ailleurs celui de notre étude.
A. Problème de la cohérence du Discours de la Méthode
Le titre du Discours ne ment-il pas sur son contenu dans la mesure où, la deuxième partie mise à part, le reste traite peu de la méthode?
En fait, Descartes n’avait nullement l’intention d’enseigner la méthode, mais avait seulement pour dessein d’en parler. Selon lui, la méthode consiste plus en pratique qu’en théorie, et, c’est pourquoi, nous soumet-il simplement un aperçu de la méthode; les essais qui suivent ce Discours sont des tentatives réussies de la mise en œuvre de la méthode cartésienne.
C’est justement parce qu’il n’est pas entièrement consacré à la méthode que le Discours ne semble pas vraiment homogène. On y parle d’itinéraire personnel (1ère partie), de morale (3ème partie), de métaphysique (4ème partie), de médecine (5ème partie) et de progrès que pourraient faire les sciences si le public soutenait la recherche des savants (6ème partie).
Comment rendre compte de cette hétérogénéité?
Ce qu’il faut comprendre c’est que l’ordre du Discours n’est pas un enchaînement logique mais celui d’un cheminement en quête de connaissance. L’unité des six parties vient du fil conducteur de l’autobiographie qui relie ces pensées diverses en les rapportant toujours à celui qui les a pensées. Comme le dit M.Beyssade. « le « je » personnel et individualisé de l’autobiographie s’élève dans le Discours à l’universalité du sujet de toute connaissance », ou comme le résume F. Alquié, « son ouvrage [celui du philosophe Descartes] est l’histoire de son moi pensant. »
Disons que, le fil conducteur de l’ouvrage est la méthode à suivre pour accéder à la vérité.
Pour mettre au point cette méthode, Descartes va examiner ce que peut la raison humaine dans différents domaines ou elle opère (1ère et 2éme parties). Il va la confronter à l’opinion, c’est-à-dire à la connaissance spontanée et non réfléchie. Puis il va voir à quels résultats elle peut parvenir relativement à la morale (3ème partie), à la foi (4ème partie), et à la connaissance de la nature (5ème et 6ème parties).
B. Quel est l’objet du Discours de la Méthode ?
« L’objet du Discours de la Méthode est d’acheminer le lecteur vers la Méthode en lui racontant quelques-uns des doutes et des tournants par lesquels est passé son inventeur. On lui montre aussi l’efficacité de la procédure une fois mise au point. Ce texte n’est pas l’exposé d’une science révolutionnaire, physique ou médecine, encore moins l’inauguration d’une nouvelle morale. Un philosophe tente ici de penser – à travers la narration de son expérience – le bouleversement des questions par la nouvelle physique. Il relit son propre questionnement, ses refus ainsi que ses espoirs dans une connaissance enrichie de la Méthode, consciente d’elle-même et libérée de la prétention d’une vérité absolue. « Je n’oserais pas affirmer que les choses que j’énonce soient les vraies principes de la Nature, mais je dirai tout au moins qu’en les prenant pour principes j’ai coutume de me satisfaire en toutes choses qui en dépendent » (Fragment daté de 1633-1635). Et paradoxalement, c’est une amère déception qui, comme Descartes le confie dès les premières pages, a été l’origine de sa recherche » (E. Brauns).
C. Quel est le projet général de Descartes dans le Discours de la Méthode ?
Le projet général de Descartes dans le Discours est d’examiner ce que peut être la connaissance humaine, de répondre à la question suivante: la connaissance de la Nature est possible, mais à quelle condition est-elle possible ?
Pour mener à bien cette entreprise, il va d’abord éliminer tout ce qu’on lui a appris, faire table rase. En effet, la première partie du discours retrace la biographie intellectuelle de l’auteur, il récuse le savoir livresque, l’histoire, la théologie ; seules les mathématiques trouvent grâce à ses yeux en raison de la « certitude et de l’évidence de leurs raisons ». Il va se donner ensuite des principes nouveaux, une méthode. Les règles de cette méthode sont énoncées dans la deuxième partie de l’ouvrage sous forme de quatre préceptes : préceptes de l’évidence, de la division des difficultés, de l’ordre, du dénombrement complet. Elles ont pour condition de réussite le doute actif, volontaire. Et il va enfin organiser et unifier le savoir humain.
En effet, la quatrième partie du Discours présente un abrégé de la métaphysique cartésienne: le fameux « Je pense donc je suis » est proposé comme le modèle achevé de l’idée claire ; la cinquième partie traite de l’ordre des questions de physique et expose les principes de la circulation sanguine ; la sixième et dernière partie propose comme idéal à l’activité humaine la conquête technique du monde. Cependant Descartes ne peut rompre complètement avec son époque dont il respecte les mœurs et les croyances. C’est ce qu’il veut montrer dans la troisième partie du Discours qui est un exposé de morale provisoire d’inspiration stoïcienne : alors que, lorsqu’il s’agit de connaissance, il faut suspendre son jugement jusqu’à ce que l’on soit assuré de la vérité, le domaine, de l’action ne souffre pas de délai, il faut la faire confiance aux préceptes des gens sensés et aux lois de son pays, tout en sachant dans l’absolu qu’elles ne valent sans doute pas mieux que « celles de la Chine ».
D. Plan de l’étude du Discours de la Méthode
Nous étudierons quelques passages importants de l’ouvrage après avoir étudié la structure de la partie dans laquelle ils s’insèrent. Notre étude se décomposera en quatre moments qui suivent le déroulement du Discours de la Méthode :
- Les conditions de la connaissance ;
- La morale provisoire ;
- Les fondements métaphysiques ;
- La connaissance de la nature
